Instant Coffee

C’était un jour comme les autres. Dehors, il pleuvait des cordes depuis une bonne heure environ et les passants qui n’avaient pas la chance d’avoir un parapluie s’agitaient dans tous les sens à la recherche d’un endroit où s’abriter en attendant que l’intempérie ne passe. Finalement, ce type qui se baladait dans le quartier avec sa pancarte « La fin du monde est proche » avait peut-être raison…. Aux vues du temps des derniers jours, il était difficile de croire que l’on se trouvait au mois de mai, ça avait en fait plus l’air d’un mois d’octobre voire même de novembre… Tout partait à volo maintenant. Il faisait froid en été, chaud en hiver et au milieu, les deux saisons qui étaient censées se trouver là semblaient avoir prit des vacances dans un coin plus classe que peu de monde voire personne ne fréquentait. Assise dans sa voiture, garée soigneusement entre deux autres véhicule sur le trottoir en face du Gallery Place, Rebecca passe une énième fois en revue tout le dossier qu’elle étudiait depuis une bonne semaine maintenant. Son client s’appelait Anthony Gamble. Il avait trente six ans et était membre du camp ennemi communément appelée la Division. Il avait intégré leur rang à l’âge de seize ans, était devenu officiellement agent sept ans plus tard et avait par la suite infiltré la CIA qu’il n’avait pas quittée depuis lors, une mission sur le long terme qu’on ne donnait qu’à des personnes efficaces et de confiance aux yeux de Percy. Si on grattait plus loin, le casier du bonhomme était bien évidemment loin d’être vierge. Les types blancs comme neige qui se retrouvaient agents chez Coups Fourrés Land ça n’existait pas, ou alors ils n’étaient plus là pour en parler si toute fois l’agence avait été à une époque une organisation somme toute respectable. Il avait tué son père par légitime défense alors qu’il était en train de battre sa femme, mais Wheeler avait du s’arranger pour que cela ne se transforme en meurtre avec préméditation comme il en avait l’habitude. Le monde était si corrompu… Un crétin n’avait qu’à entrer dans un bureau vêtu d’un trois pièces impeccable, utiliser deux ou trois mots sophistiqués et n’importe qui faisait tout ce qu’il voulait. C’était comme ça qu’elle, elle s’était retrouvée en prison sans avoir le moindre souvenir d’avoir soit disant tué son fiancé et ses beaux parents alors qu’elle était enceinte, juste pour une question d’héritage. Trafic de preuves, corruption de flics, de jury, de juge, même son avocat avait du être payé pour être aussi médiocre… Le sujet avait donc lui aussi fait un séjour en prison ou tout du moins dans un pénitencier pour délinquants mineurs, avant d’atterrir chez les boy-scouts mais à vrai dire ce n’était pas ça qui intéressait la Corporation en priorité. Il y a trois mois de ça, l’homme avait perdu sa petite amie. Pour le commun des mortels un simple accident de voiture, mais pour des yeux plus entrainés comme ceux de Gamble ou ceux d’une majorité des agents maintenant au service de Twain, ça n’avait rien d’un coup du sort. C’était du travail de professionnel et pas n’importe lequel puisque tout le monde avait reconnu les méthodes qu’on enseignait à toutes les recrues lors de leur formation initiale au sein de la Division. Ainsi, quelqu’un avait jugé Emma Pierce trop encombrante pour la mission d’Anthony et on l’avait tout si simplement supprimée pour éviter qu’il ne se détourne de son objectif, très certainement une idée de la nouvelle psychopathe qui servait de psychanalyste à Percy et qui l’était tout autant que Rebecca l’était au service de la Corporation. C’était donc ici qu’ils intervenaient. Des personnes avides de se venger de la Division, c’était ce qu’il leur fallait, ils ne seraient jamais assez nombreux pour faire tomber ce pseudo empire et enfin débarrasser la Terre de cet enfoiré de Wheeler dont la liste d’ennemis ne cessait de s’allonger à mesure qu’il avançait dans sa quête du pouvoir et de tous ses chiens de garde qui pensaient faire des choses justes alors que ce n’était aucunement le cas. Twain avait donc chargé Rebecca d’aborder l’agent afin de lui parler de leur petite organisation secrète et le ramener dans leur rang s’il était d’accord, dans le cas contraire elle devrait l’éliminer pour éviter qu’il ne rapporte toutes les informations potentiellement transmise au camp adverse, ce qui, elle l’espérait, ne devrait pas arriver vu l’atout dont elle disposait et qui serait fort utile pour ce petit rendez-vous. Un coup d’œil dans le rétroviseur central lui permit de vérifier une dernière la petite touche de maquillage qu’elle arborait, la ressemblance n’était pas pareille à celle que pouvait avoir deux jumelles identiques mais cela était largement suffisant pour tromper son monde et surtout celui qu’elle s’apprêtait à rencontrer. Comme quoi le hasard faisait bien les choses même si le type allait vite déchanter en voyant que celle à qui il avait à faire était loin d’être aussi douce et délicate que sa bien aimée. La discussion avait été claire, oui elle pourrait jouer de sa ressemblance avec Emma, mais il était hors de question de pousser plus en profondeur le jeu en allant jusqu’à se comporter comme elle, c’était un coup bas que Twain ne cautionnait pas au contraire de Percy. Satisfaite de son travail, elle regarda sa montre une dernière fois. Comme à son habitude, la cible devait être en train de boire un café au Starbucks de la galerie marchande et c’était là-bas qu’elle le rencontrerait, au beau milieu de la foule, loin des oreilles indiscrètes de la CIA et loin des yeux de la Division. Se saisissant de son téléphone portable elle envoya un rapide sms à son supérieur pour lui dire qu’elle allait à présent passer à l’action et une fois le message envoyé, elle descendit de véhicule pour se diriger d’un pas rapide vers le café qui était comme toujours fréquenté par un tas de personnes en tout genre. D’un rapidement mouvement de tête elle examina la salle et vit finalement celui qu’elle cherchait assis dans un coin, lui tournant à moitié le dos. C’était parfait. Dans cette position, il ne l’avait très certainement pas vue entrer et la surprise n’en serait que plus facile. Dissimulée dans la file d’attente, la jeune femme attendit patiemment son tour jusqu’à ce que finalement elle puisse passer sa commande.

- Un grand cappuccino et un expresso bien noir sans sucre s’il vous plait. Lança-t-elle à la petite employée qui lui faisait face.

Cette dernière acquiesça avec le sourire et se mit aussitôt au travail pour ne pas faire attendre trop longtemps les clients suivants. De son sac à main, la jeune femme sortit un portefeuille griffé duquel elle extirpa un billet de dix dollars qu’elle donna à son interlocutrice lorsque celle-ci revint avec ses boissons chaudes.

- Vous pouvez garder la monnaie.

L’autre la remercia d’un rapide mouvement de tête avant de passer au client suivant. De son côté Rebecca se dirigea tranquillement vers la table de celui à qui elle devait parler où elle prit place simplement, affichant un petit sourire discret comme elle en avait l’habitude. Posant sa tasse devant elle, elle poussa l’expresso vers son futur interlocuteur qui avait justement fini le sien.

- Bonjour. Souffla-t-elle simplement sans attendre plus longtemps.