Les agents sont en ébullitions. Tous, sauf toi. Tu regardes leurs allers retours incessants. Ils se mettent presque à courir, et toi, tu restes sagement assise. Tu ne bouges pas. Tu ne réagis pas. À vrai dire, tu ne sais pas comment réagir. Si Caleb était là, il te dirait sans doute que tu es énervée. Et tu as de quoi l’être, Teddy. Mais tu ne bronches pas. Parce que tu es un gentil toutou qui ne bouge pas, qui suit les ordres, et qui ne vit qu’à travers les autres. Ils t’apprécient pour cela. Ils te gardent pour ça. Tu es bien docile, Teddy. Assise sur ton banc depuis de longues minutes, peut-être même une heure, tu regardes les gens passés. Tes collègues. Et aucun ne t’adresse le moindre sourire réconfortant. Tu ne les aurais pas compris, leurs sourires, de toute manière. Mais Caleb t’a appris à reconnaître les comportements des autres. Et tu aurais pu reconnaître leurs sourires. Mais aucun ne t’ai adressés. Les plus jeunes recrues se sourient entre elles, excitées parce les heures, les jours, les semaines qui vont suivre. Cette excitation, tu ne l’as ressens pas. Parce qu’on t’y a exclu. Cette mission dont tout le monde parle, elle ne te concerne pas. On a pas voulu de toi là-dessus, Teddy. Cela ne te fait rien ? Tu ne ressens rien ? Non, tu y es incapable. Si seulement tu pouvais être comme les autres. Moi je vais te dire. Je vais te dire ce que tu ressens. Tu es en colère. Bien trop, selon moi. Fait attention, Teddy, cela ne t’amènera rien de bon. Mais tu t’interroges. Et je peux comprendre. Tu es l’une de leurs meilleures recrues, même si ce terme ne t’a plus approprié désormais. Tu es une nettoyeuse. Une très bonne même, l’une des plus douées. Est-ce ta passion pour le sang, les meurtres et le corps humain qui fait de toi une nettoyeuse aussi douée ? C’est peut-être pour cette raison qu’ils ont voulus t’écarter, par peur que tu sèmes un cadavre derrière toi. Pourtant, tu ne l’aurais pas fait, pas vrai ? Tu es si docile, Teddy. Tu aurais mené ta mission à bien, qu’importe le binôme qu’on t’aurait adressé. Tu avais hâte de partir sur le terrain. Tu avais hâte de pouvoir faire à nouveau tes preuves. Oh que oui, tu te réjouissais. Et ils ont brisés tes espoirs.

Alors pourquoi t'acharnes-tu à être fidèle à la Division ? Tu pourrais partir, non ? Tu n'as jamais imaginé cela, hein ? Peut-être parce que toute ta vie se résume à être la Division. Parce que cela fait des années que tu es un brave soldat. Alors ce coup de poignard est le premier d'une série que tu imagines longue. Tu te calmeras, Teddy. Caleb y arrivera. Mais pour l'instant, tu rumines dans ton coin, blessée et vexée d'avoir été écartée de cette mission alors que tant d'autres recrues plus jeunes et plus récentes sont parvenues à se faire une place sur la mission. Tu rages. Tu as besoin de partir, ailleurs. Mais tu ne peux pas sortir. Tes pieds te guident en direction de la salle de contrôle. Tu ne sais pas à quoi t'attendre une fois là-bas, mais peut-être que tu trouveras des réponses à ta question. Quand tu y arrives, elle est pratiquement vide. Effectivement, presque tout le monde est parti sur le terrain. Tout le monde sauf toi. Et Ayden. Tu l'observes de longues minutes avant de te décider à entrer dans la salle. Tu te diriges vers lui, il pianote des ordinateurs, et tu t'en fiches de savoir si tu le déranges ou non. Tu as besoin de réponses. Alors sans attendre, tu te plantes à sa droite et le fixe dans les yeux. « Pourquoi je suis pas sur la mission ? » demandes-tu en le défiant du regard. Oui, pourquoi ? Il doit bien le savoir, lui. Il peut regarder dans les ordinateurs. Tu attends une réponse, sans quitter ses yeux des tiens.

Spoiler:

Les questions fusent dans ton cerveau, à te faire perdre la raison. Les voix, ma voix, s’élève dans ta tête pour te confronter à ta stupidité et ta nullité. Tu ne vaux donc plus rien, Teddy ? Après quatre ans de bons et loyaux services, ils préfèrent envoyer des recrues qui n’ont que quelques mois d’expériences plutôt que toi ? Tu reconnais cette sensation, pas vrai ? Cette sensation d’être nulle. D’être une bonne à rien. Tu l’as toujours connue, et aujourd’hui, elle est plus présente que jamais. Tu dois évacuer ta frustration, en bougeant de ta place, afin d’arrêter de te faire du mal en regardant tes collègues quitter le centre les uns après les autres alors que tu es forcée d’y rester. Tes pas tes guident vers la salle de contrôle, ce qui est surprenant, sachant que tu ne sais pratiquement pas te servir d’un ordinateur. Qu’importe, ton corps a décidé de t’emmener là-bas, et tu n’as pas ton mot à dire. Dans la salle, tu reconnais immédiatement Ayden. Tu n’es pas très proche de ce type – tu n’es proche de personne de toute manière – mais tu sais qu’il est. Parce qu’il est un de tes collègues. Tu ne te souviens pas avoir déjà collaboré avec lui. Que ce soit dans tes premières semaines ici, ou maintenant que tu es devenue une nettoyeuse expérimentée. Mais il a un visage rassurant. Et c’est pour cette raison que tu t’approches de lui.

Les gens normaux auraient eu une autre réaction. Les gens normaux comprennent leurs interlocuteurs. Mais tu n’es pas normale, toi. Tu aurais dû agir autrement, commencer par les salutations d’usages, un simple bonjour accompagné d’une bise. Tu as si souvent observé les autres que tu aurais été capable de reproduire ces gestes, mais tu ne l’as pas voulu. Regarde-toi, froide comme de la glace. C’est pas étonnant qu’ils n’aient pas voulu de toi sur la mission. Tu ne serais pas étonnée qu’on t’évince prochainement. Tu te remets à cogiter. Tu t’énerves inutilement, Teddy. Ce n’est pas ta faim. Non, tu ne laisseras pas faire. La présence d’Ayden, aussi froid que votre premier contact fut, est rassurante. Parce que tu découvres que tu n’es pas la seule à rester à la Division alors que tant d’autres partent en souriant sur le terrain. Peut-être qu’Ayden reste ici car il l’a voulu, mais tu t’en fiches. Ce n’est pas tes affaires. Toi, ce qui t’intéresse, c’est de découvrir pourquoi. Pourquoi ils n’ont pas voulu de toi. « Comment veux tu que je le sache ? » Tu n’arrives pas à interpréter le ton de sa voix. Est-il énervé ? Est-il triste pour toi ? Est-il agacé par ta présence ? Dans le doute, tu préfères ne pas chercher. Tu vas te contenter de répondre à sa question, c’est ce qu’il faut faire en temps normal. « En fouillant dans les dossiers. Il y a pleins de dossiers dans ces ordinateurs. Il doit y avoir un dossier pour cette mission. » Ce n’est pas une réponse très satisfaisante, Teddy. Tu en as conscience, j’espère. Il le sait, tout ça. Ayden n’est pas stupide, il sait que les ordinateurs comportent des dossiers. « J’y connais rien. J’y connais rien en ordinateur. » Tu précises, pour te rassurer toi-même. Oui, ce n’est qu’aux ordinateurs que tu n’y connais rien, on y croit Ted. Arrête de parler. Tu es stupide, tu ressembles à une autiste. Il ne pourra plus te prendre au sérieux après cela. « Je te dérange. » Tu ne lui poses pas la question, car tu sais bien que c’est le cas. Sinon, il ne se serait pas retourné pour fuir ton regard. Caleb t’a appris que c’était un signe pour faire comprendre aux gens que l’on était pas intéressé par ce qu’ils disent. Ayden n’est pas intéressé par tes paroles. Alors tu restes là, à ses côtés, parce que tu n’as nulle part où aller.