Le métro, aux États-Unis, frôle le symbole national. Tout le monde le connaît, tout le monde l'a déjà pris, tout le monde – littéralement cette fois – en a entendu parlé, l'a vu dans un film, une série, une carte postale. Aucune représentation des grandes villes américaines ne peut se passer de lui. Et, évidemment, aucun citoyen « normal » ne peut se passer de lui non plus. Tous les jours, des milliers de gens empruntaient ce moyen de transport simple et peu onéreux. Pour aller au travail, à la gym, ou au cinéma. Ou juste pour se balader. Parce que c'est une très grande ville, Washington D.C, bien plus grande que cette Paris de pacotille – petits joueurs, les Frenchies. Se déplacer à pieds y devient presque impossible, alors, vous comprenez, le métro... c'est bien pratique. Même Cerseï devait utiliser le métro. Cerseï, la personne la plus superstitieuse de l'univers, dans un métro : je vous laisse imaginer... Toujours sujet à pensées tordues.

Ce matin-là, elle était sortie avec une idée bien précise en tête : acheter des légumes. Des tomates, des carottes, de la salade et de la menthe (pour le thé bien sûr, le thé à la menthe, c'était son préféré). Peut-être d'autres trucs verts ou violets, si elle y pensait. Elle aimait les légumes, c'était une existence paisible après tout. Elle espérait se réincarner en légume pour sa prochaine vie. Ou en plancton, c'était paisible aussi les planctons. Se faire trimbaler dans les grands océans jusqu'à se faire aspirer par une baleine : rien de plus tranquille à part grandir au soleil avec de l'eau fraîche et finir dans une assiette. Elle descendit de chez elle en songeant à cela : valait-il mieux être un plancton ou une salade ? Une belle salade bien verte cela devait être sympathique tout plein. Ça lui faisait penser à un sketch français qu'elle avait vu sur YouTube, son ami francophone l'avait traduit, c'était complètement barré mais elle avait aimé : l'histoire d'une salade accusée du meurtre d'une saucisse organisé par le gang des frites, dirigé par la vilaine patate. C'était très drôle. Elle passa devant une boutique de musique : tiens, des guitares, tiens des basses, oh, une batterie, un ukulélé Bob l'Éponge ! Cooooool ! Elle entra, s'enquit du prix, c'était cher, elle ressortit. Où est-ce qu'elle allait déjà ? Ah, probablement à la bibliothèque. Elle allait sûrement à la bibliothèque, comme souvent, c'était un endroit très intéressant et utile. Elle tourna à gauche, direction la bibliothèque du coin, puis aperçu un panneau publicitaire géant vantant les mérites d'une crème anti-rides. Non ?! Mais si, mais si, elle avait bien lu ! « Car la peau vieillit à cause du soleil » ! C'était une vraie crème de vampire ! Ciel. Elle sortit son smartphone, prit en photo le panneau, le twitta, et décida d'aller au supermarché pour acheter un pot de la fameuse crème. Il fallait qu'elle l'analyse, ce pot. Et si c'était une crème comme de beauté comme celle de Catwoman ? Ce serait la découverte du siècle. Elle deviendrait une célèbre scientifique dénonciatrice de la société de consommation conspiratrice, peut-être même alliée avec les aliens-slash-inventeurs fous-slash-vampires. Un truc de dingue. (Donc de Cerseï, hurrum.) Mais d'ailleurs : ne devrait-elle pas mieux aller à l'hyper-marché plutôt qu'à la petite supérette du coin ? Elle n'avait qu'à prendre le métro ; oui, allez, prends le métro Cerseï. Elle descendit les marches quatre-à-quatre en chantonnant. C'était une belle journée. En fait non, parce qu'alors qu'elle s'apprêtait à remonter à la surface, un orage terrible explosa juste au-dessus de sa tête. Sa pauvre petite tête de chat effrayé par trois gouttes ! Elle redescendit dans le métro sans réfléchir et entra dans la première rame qui passait.

Bien évidemment, une heure plus tard, elle était perdue.

Assise sur un banc dans une station à moitié-déserte, dont le nom lui était absolument inconnu, Cerseï Appleby avait une mine totalement pathétique. Sa tentative de sortie lui avait conféré l'allure débraillée d'un passage – éclair, mais quand même – sous la pluie torrentielle, et ses longs cheveux bruns gouttaient sur son jean détrempé. Y avait une mare dans ses chaussettes. Et son peu de rimmel avait coulé. Elle faisait un peu peur à voir, et elle était désespéré. Qu'est-ce qu'elle fichait là ? Elle aurait pas dû prendre le métro au lieu de prendre un parapluie. Ça sert pas de parapluie un métro ! Enfin si, mais en plus on voyage. Ça pourrait être un avantage si elle savait où aller mais... elle avait pas réfléchi. Pourquoi elle avait pas réfléchi ? Elle était bête. Roh zut. C'était la pluie qui était bête wesh ! Elle cherchait le fight ou quoi, cette grognasse de pluie à la noix de coco ? Pffff. Elle fit un bruit de canette de coca qu'on débouche, puis leva les yeux – fixés sur ses baskets dégoulinantes depuis de nombreuses minutes. Il n'y avait que quelques types à l'air peu recommandable, à tous les coups elle était dans un quartier de zombies sous couverture... Bon Dieu, qui allait la sortir de là ?

Aujourd’hui tu as un peu moins besoin de décompresser qu’il y a trois jours. Après tout tu as eu des nouvelles de Genesis, elle va bien, elle est toujours aussi fouineuse et tient toujours autant à te caser et à te foutre la honte. Tu n’as plus à t’inquiéter donc. Tout est sous contrôle ou presque. Non pas presque en fait qu’est-ce que je raconte ? La Division vous nargue toujours, tu ne peux toujours pas retourner au quartier général, ton appartement est toujours un véritable bordel et tu n’as toujours pas perdu cette habitude immonde de commander des pizzas aux anchois ! Mets de l’ordre dans ta vie mec, reprends le contrôle justement ! Non, je ne parle pas de t’assurer que tu contrôles parfaitement le major dans Halo enfin ! Je sais très bien que tu as une emprise irréprochable sur lui, inutile de me le prouver une fois de plus. J’en ai assez bouffé depuis que le quatrième volet est sorti le six novembre. Comme si t’avais pas abusé d’Assasins Creed sorti il n’y a pas longtemps... Je n’ai jamais compris comment tu arrivais à concilier ta vie à la Corporation, tes commandes en tant que programmeur et ta vie de geek. Cela reste pour moi un mystère que je dois toujours élucider. Mais j’ai le temps, fort heureusement. A midi tu as commandé une pizza, ayant fini les sushis hier. Tu t’es demandé ce que tu allais faire de ton après-midi et t’es souvenu que tu avais des bandes dessinées à acheter. Quand tu y as pensé, un sourire naturel a éclairé ton visage, spontané. A croire que tu portes tout ton amour sur tes comics et tes jeux. Ce qui est possible. Ce dont j’ai peur. Mais au moins je sais que tu portes aussi de l’amour à ta soeur. Allez, non, je suis mauvaise langue, si tu devais sauver Genesis ou tes bandes dessinées, tu sauverais la première. Et puis il n’y a pas qu’elle. Il y a Cerseï aussi. Non, ne rougis pas enfin tu ne fais que penser à elle ! Ah là là on dirait un gamin, j’ai l’impression que c’est la première fois que tu tombes amoureux. Ah oui en fait c’est la première fois. Tu n’oserais pas le dire bien évidemment mais elle t’attire bien. Tu te dis qu’elle est trop jeune pour toi ceci dit. Mais merde ! Elle n’a que vingt-trois ans, toi vingt-neuf, ça fait six ans de différence ce n’est pas la mort ! Je dis que tu devrais tenter ta chance, elle est un peu bizarre - oui je trouve -, elle est intelligente, vous avez beaucoup en commun, elle te comprendrait certainement mieux que la moitié de cette planète. Plus de la moitié en fait. Mais tu n’y arrives pas, c’est comme ça. Trop mauvais dragueur, hein ? Tu avales ta dernière bouchée de pizza anchois-courgette - ils font des trucs de dingue dans cette pizzeria - et as une pensée pour la soirée pizza que vous avez prévue avec Genesis le vingt-et-un décembre. Vous trouvez toujours des choses stupides à faire... Lorsque tu sors, tu prends avec toi ton manteau, ton portefeuille, tes clés, le double de tes clés et le triple de tes clés que tu as confisqué à Genesis. Au cas où qu’elle ne trouve un moyen de rentrer et ne décide de se faire un quadruple. Tu n’es pas paranoïaque, tu n’as juste pas envie d’avoir une autre surprise comme celle qu’elle t’a faite il y a trois jours. Une pensée pour ta figurine du Chapelier Fou de Batman qu’elle a utilisée comme cendrier.

Le métro tremble violemment, comme n’importe quel métro, et tu ne prêtes guère d’attention à ce roulis auquel tu es habitué. Tu as un instant hésité à prendre ta voiture mais l'idée même des embouteillages t'en a découragé. Non tu n'aimes guère les embouteillages, sauf quand Crazy de Gnarls Barkley passe à la radio et que tu peux chanter et danser comme dans Kick-Ass. Parce que quand on écouté cette chanson, tout est significativement amélioré. Au fur et à mesure des stations, tu vous des gens trempés rentrer dans la rame et tu grimaces. Tu n'as pas pris de parapluie. Mais ça à la limite ça irait si l'horrible idée que tes comics puissent être touchés par plus de deux gouttes d'eau ne t'effleurait pas. C'est impossible. Les yeux écarquillés, fixant le vide - ou plutôt le manteau de ton voisin d'en face qui commence sérieusement à se demander si il n'a pas une tache quelque part - tu cherches des solutions pour pallier ce problème inhumain. Le mieux serait évidemment qu'il ait cessé de pleuvoir quand tu sortiras du métro mais il faut se préparer au pire. Tu pourras rester dans la boutique jusqu'à ce que l'averse cesse. Non, j'ai dit le pire. Si l'averse ne cesse pas et que la boutique doit fermer, alors tu appelleras Genesis. Et tant pis si elle doit te tuer quand elle se rend compte de la futilité de la raison pour laquelle tu l'as appelée. C'est toi ou tes comics. Et tu préfères les comics. Je te rassure, personne ne se souviendra de toi, illustre inconnu, geek parmi les geeks. Même avec ton intellect. Parce que ta principale occupation - ton boulot à la Corporation s'entend - est secrète et doit le rester le plus longtemps possible. Tu commences déjà à te représenter le scénario de ton enterrement, avec la stèle sur laquelle sera gravé un space invader. "Ci-gît Ryan-Ezra Northwood, geek." Sans autre mention du style "regretté fils/frère/cousin/chien/quoi que ce soit qui aurait pu sembler sympa." Autant être un légume vert, au moins ça nourrit quelqu'un. Tu es tout à tes plans morbides, si bien qu'il te fait un temps de réaction assez long pour réaliser que c'est ta station qui vient d'être annoncée dans les hauts-parleurs. En mode Indiana Jones, tu te lèves et te glisses in extremis entre les portes avant qu'elles ne se referment, ignorant les exclamations outrées des gens que tu dois pousser pour y parvenir. Le quai est presque désert, ce n'est pas une ligne très populaire. Tu reprends ton souffle, fier de toi, quand tu aperçois du coin de l'œil une jeune femme assise sur un banc. Tu la reconnais ; ton cerveau se déconnecte. Ga. Tes yeux s'illuminent de bisounours gravitant autour de ta pupille comme les électrons autour d'un noyau d'atome. Les licornes paissent au fond d'une prairie imaginaire illuminée d'arc-en-ciels et tu souris béatement. Puis ton cerveau se reconnecte. "Ce-Cerseï ? Mais qu'est-ce que tu fais là ?" Car oui, c'est bien elle : Cerseï Appleby. Et accessoirement celle qui te fait perdre tous tes moyens.

Elle est mouillée de la tête aux pieds, elle est perdue, désespérée. L'image de la demoiselle en détresse, quelques milliards de neurones et une licence en sciences appliquées en plus, aujourd'hui, c'est elle. Manquerait plus que les aliens décident de venir la chercher maintenant. Ce serait irritant, ils détruiraient ce beau, magnifique métro New Yorkais, les vilains. Mais attendez... Oui attendez une seconde... Et si c'étaient eux qui avaient court-circuité son esprit juste pour qu'elle oublie tout ce qu'elle avait à faire, pour qu'elle se laisse distraire par tout et n'importe quoi jusqu'à se perdre ici. Ici, une station de métro vide... Mais oui... Mais pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? C'était un endroit idéal, pour peu que les extra-terrestres décident de passer par les sous-sols. Comme dans MIB. D'ailleurs elle était plutôt persuadée que ce genre d'organisation existait vraiment, que les hommes en noir et leurs neurolyzeurs étaient bien réels quelque part. Comme dans ce manga délirant où tout ce qu'on nous racontait sous forme de fiction existait et ce qui nous était appris comme « L'Histoire » n'était elle que pure fiction. Où tout était inversé. Et si tout était inversé ? Oh c'était une pensée intéressante, une pensée vraiment intéressante à triturer quand on est trempées comme une vieille serpillière, bien qu'elle ne ressemble pas vraiment à une vieille et pas vraiment non plus à une serpillière – dieu, merci. Non, mais non, ce n'était pas le moment de retomber dans ses délires psychédéliques, il fallait qu'elle se sorte de là. Elle n'allait pas attendre le messie non plus ! Elle était grande, mature et responsable. Elle allait être son propre héros et rentrer chez elle sans l'aide de quiconque, non mais. Il lui suffisait de retrouver son téléphone. Son... téléphone... Vous ai-je déjà dit à quel point Cerseï était mouillée ? Oui. Voilà, faites le lien tout seul, vous aussi vous êtes grands. Téléphone. Mouillé. Vous voyez le désastre.... Et bien... non ! Puisque Cerseï avait tout bonnement oublié son portable à l'appartement. Je vous ai fait peur hein ? Bref, elle était bien dans la merde quand même. Quelle cruche. Alors après cette courte tentative pour résister à l'envahisseur par elle-même, elle abandonna de nouveau, blasée sur son siège de métro.

Elle attendit. Elle attendit. De longues minutes où elle faillit s'endormir. Les métros arrivaient avec grands bruits, mais à quoi bon essayer de les prendre si elle n'avait aucune idée d'où ils allaient la mener ? Elle ne ferait que s'embrouiller encore plus. Elle allait attendre que la pluie arrête de tomber, éviter d'écraser les fourmis histoire de remonter son karma apparemment bien bas, et voilà tout. Elle attendit donc. Encore et encore et encore. Elle comptait les gouttes qui gouttaient de ses cheveux emmêlés. Elle se sentait de plus en plus fatiguée, et les gens qui descendaient des escaliers, pleins d'eau et de parapluie, ne lui apportaient aucune bonne nouvelle. « Ce-Cerseï ? Mais qu'est-ce que tu fais là ?  » Elle releva brusquement les yeux, et répondit du tact-au-tac : « 4 392. », un peu dans sa barbe, un peu audible, comme si ses cordes vocales n'avaient pas pu décider entre le murmure et la réponse franche. Avant que ses connexions synaptiques ne se reforment, et qu'elle percute : quelqu'un lui parlait. Quelqu'un ? Non, pas quelqu'un. Ryan-Ezra. L'homme qui l'avait aidée au cybercafé et, qu'à charge de revanche, elle avait battu au jeu de para-para pendant une soirée à thème geek. Ryan-Ezra. Elle s'était demandée si elle l'appréciait et si elle aurait envie de le revoir, elle avait même écrit quelques brouillons de mails à son intention, mais aucun n'avait abouti. Est-ce qu'elle voulait le revoir ? Oui, sûrement. Mais absolument pas un jour pluvieux où elle s'était transformée en éponge – avec, à son goût, le sex appeal d'une éponge. (Et puis de tout façon Ryan-Ezra n'était pas un hérisson.) Mais un visage connu ne se refusait pas, en même temps. « Ryan-Ezra ! Euh, salut. Je, je me suis perdue. C'est à cause des légumes en fait... ouais voilà je devais m'acheter des légumes. » Non, idiote ! Idiote ! Arrête de dire n'importe quoi voyooooons. Elle ne pouvait cesser de s'auto-insulter pire qu'une nonne qui aurait instinctivement reluqué le derrière de l'une de ses sœurs. Une réponse plus pathétique que celle qu'elle venait de donner c'était juste impossible. Quelle idiote bon sang mais quelle idiote ! Et après elle allait encore se plaindre qu'elle était seule !

Bon, tant pis. Relax. Elle essaya de calmer la tempête de sa cervelle, tornades de phéromones, éclairs d'attraction physique et séismes de sentiments, bref : il fallait qu'elle se calme. Et qu'elle tire profit de cette rencontre fortuite et forte heureuse, autrement dit qu'elle en profite pour rentrer chez elle, retrouver son chemin dans ce véritable dédale du métro New Yorkais. « Tu sais où on est ?  » demanda-t-elle ainsi, avant de regretter immédiatement cette question stupide. Non mais ça tombait sous le sens qu'il savait où vous étiez. C'était complètement con comme question, roooh ! Elle commençait à en avoir marre d'elle-même et de ses réflexes sociaux de crevette en origami. Alors elle essaya de se rattraper, un peu comme une mouche à demi-écrabouillée qui essaierait de voler : « Non parce que, euh, moi non. » Bieeeen. Cerseï Appleby ; médaille d'Honneur de la répartie pourrie.

Spoiler:

Dire que toi tout ce que tu voulais c’était aller te ruiner - tout est relatif, t’es pas prêt d’épuiser ton compte en banque, imposant comme il l’est - en comics et rentrer chez toi pour glander en guettant un possible appel de David. Bref tu voulais que ce soit une journée à peu près normale, pluie ou pas. Te mettre devant le dessin animé Batman et te laisser absorber pour oublier un peu que la Corporation est vraiment, genre vraiment dans une merde monumentale. Une merde épique oserais-je même dire au final. Bref, tout cela semblait former un bien joli programme tout à fait acceptable mais apparemment ce ne sera pas le cas. Eh oui, que veux-tu ? C’est la vie. Des fois on trouve des obstacles sur son chemin. Enfin des obstacles... En l’occurrence une jeune femme - accessoirement peut-être la femme de ta vie, qui sait ? - trempée jusqu’aux os qui grelotte sur un banc au milieu d’une station de métro un peu paumée. La station. Enfin la jeune femme aussi de toute évidence mais ce n’était pas le sens premier. Arrêtez de m’embrouiller. Elle est donc ici, avec un air des plus perdus. Elle semble incapable de réagir à quoi que ce soit, un peu comme tu l’as été pendant quelques secondes en la voyant. Oui, t’es un peu une espèce de légume quand tu vois une fille qui te plaît. Les désavantages de la timidité n’est-ce pas ? En tout cas, ça te donne l’air profondément débile, ce qui est plutôt bête vu ton intelligence. Eh oui, certaines choses sont traîtres n’est-ce pas ? On n’y peut rien. Ton cerveau cependant semble s’être reconnecté - du moins les liaisons les plus importantes - lorsque tu lui demandes ce qu’elle fait là.

« 4 392. » WHUUUUUT ? Allons bon qu’est-ce qu’elle a ? Elle aussi son cerveau est passé en mode veille ? On dirait bien du moins. Pourquoi te sort-elle un nombre comme ça au hasard ? Elle comptait les moutons peut-être. Si c’est le cas elle devait être là depuis longtemps ou alors elle compte très, très vite. Peut-être qu’elle comptait les baleines. C’est marrant les baleines. C’est intelligent. C’est gentil. Sauf les orques mais il en faut bien deux ou trois pour jouer les psychopathes non ? Elles sont toujours moins détestables que les tueurs en série humains ou Hitler. Hitler ? Je crois que je viens de gagner mon premier point Godwin. Mais là n’est pas la question. Quatre mille trois cent quatre-vingt douze est un nombre, certes des plus intéressants mais très peu pertinent en cette situation. Cerseï semble cependant ce reprendre. « Ryan-Ezra ! Euh, salut. Je, je me suis perdue. C'est à cause des légumes en fait... ouais voilà je devais m'acheter des légumes. » J’ai dit qu’elle s’était reprise ? Autant pour moi c’est pas encore tout à fait ça. Et c’est cette fille qui te rend aussi timide et que tu as hésité pendant des semaines à rappeler, à qui tu as écrit des brouillons de mails enflammés que tu n’as jamais envoyé, à qui tu as eu envie de dédier des programmes ? Enfin peut-être pas à ce point, tu ne la connais pas assez mais... C’est vraiment pour elle que tu as le béguin ? Parce qu’elle est assez peu convaincante là. Même si il faut avouer qu’elle te ressemble un peu. Beaucoup. Tu pourrais rester dans ta bulle d’informatique aussi longtemps que tu le désires et elle semble capable de faire de même dans sa bulle de sciences. Les illuminés de la société tiens... Mais aussi du genre qui permet l’avancement de beaucoup de choses et donc de rendre le confort et la santé des gens lambdas plus confortables. Surtout toi avec la corporation. Et... T’imagines ? Si Cerseï était une agent de la Division ? Mais ce serait du délire à ce point-là quand même. Tu souris timidement, comme si tu étais d’accord. « C’est traître les légumes. » Raison pour laquelle tu ne fais que te commander des pizzas, sushis et autres et surtout livrer à domicile. « Tu sais où on est ? » Bah euh, oui quand même. T’allais dans un magasin et tu es descendu à la bonne station alors tu le sais parfaitement. Elle par contre elle semble débarquer d’Alice au Pays des Merveilles. Du genre ‘‘quel chemin dois-je prendre ?’’. Mais le métro de Washington n’est guère comme ce pays de rêve qui est dépeint dans les livres et films. Ou alors il faut avoir l’esprit sacrément tordu. « Non parce que, euh, moi non. » C’était assez visible mais au moins maintenant tu en es sûr. Elle est vraiment perdue de chez perdue. Comment elle a pu se retrouver ici ? Je veux dire, le métro on peut s’y perdre mais il faut vraiment être un boulet, ça va en ligne quasiment droite. Quoique Cerseï est probablement une boulette. Elle devait trop être absorbée par ses histoires de légumes pour prêter attention à toutes les stations qui défilaient. « Oh, t’es perdue ? » Non non abruti, elle fait du tourisme. C’est quoi cette question ? Ton cerveau ne va vraiment pas bien quand tu est en face de cette fille n’est-ce pas ? « Je veux dire, euh, oui bien sûr que je sais où on est. » Voilà, ça c’est une information à peu près utile, du moins si tu lui dis où vous êtes en l’occurrence. Mais ça tu n’en as pas l’idée tout de suite. Il faudrait que tu puisses y penser, ce qui n’est pas le cas. « Euh, tu comptais aller où à la base ? » Quelque part où elle n’est pas arrivée de toute évidence. Mais tu peux être serviable.

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